Pensez au dernier jour que vous avez passé au bureau. Qu’il soit récent ou non, vous ne vous souvenez probablement pas des personnes à qui vous avez dit bonjour à la machine à café. Ou de la personne à qui vous avez demandé de relire l’un de vos e-mails avant de l’envoyer. Ou de celle que vous avez interrompue pendant une réunion.
À l’inverse, si personne ne vous a salué au bureau, vous vous en souviendrez même si cela remonte à longtemps. De même si personne ne vous a demandé votre avis sur un sujet ou un autre. Ou encore si personne ne vous a laissé finir pendant une réunion.
Nous avons déjà abordé la question de l’ostracisme intentionnel au travail, qui peut être aussi néfaste que le harcèlement, ainsi que l’importance du bien-être psychologique dans la sphère professionnelle. Mais qu’en est-il des méthodes passives qui marginalisent certaines personnes ? Quel est leur impact ?
Annahid Dashtgard, spécialiste de la diversité et de l’inclusion sociale, répond à ces questions de manière assez claire. « Les situations d’exclusion sociale s’enregistrent dans la même partie du cerveau que la douleur physique, notamment chez les personnes qui ont déjà souffert d’exclusion ou de marginalisation », explique-t-elle. « Qu’elles se soient produites sur un ancien lieu de travail ou dans un autre contexte, ces micro-exclusions ne sont pas perçues comme une occurrence unique. Elles sont interprétées sur la base d’un historique particulier. »
Causes subtiles et préjudiciables de l’isolement au travail
Tamara, responsable d’un programme à but non lucratif, partage le point de vue d’Annahid Dashtgard.
« J’ai été confrontée à de nombreux problèmes de racisme dans mes précédents emplois », confie-t-elle. « La plupart d’entre eux prenaient la forme de micro-agressions, s’accumulant au fil du temps. » Dans son article de 2018 intitulé « On Microaggressions: Cumulative Harm and Individual Responsibility » (Micro-agressions : préjudice cumulé et responsabilité individuelle), Christina Friedlaender définit les micro-agressions comme « des formes aussi subtiles que préjudiciables de comportements discriminatoires subis par les membres de communautés opprimées ».
Par exemple, le fait d’être considéré comme le représentant d’un groupe démographique dans son ensemble rentre dans le cadre des micro-agressions. Les supérieurs de Tarama attendaient d’elle qu’elle gère les relations entre son entreprise et la communauté noire dans son ensemble car elle était la seule personne de couleur au bureau. Ses tentatives pour aborder ce problème avec ses employeurs n’ont pas été très fructueuses. « J’ai essayé de trouver un allié dans l’entreprise », se souvient-elle. « J’ai aussi essayé de porter les problèmes de management à l’attention du conseil d’administration. »
En outre, Tamara profite de chaque étape du processus de recrutement pour se renseigner sur les antécédents d’un employeur potentiel en matière d’inclusion. « Cette expérience m’a appris qu’il était important de faire des recherches et de poser autant de questions à l’équipe de direction qu’elle pouvait m’en poser. »
Diriger en donnant l’exemple : instaurer un environnement de travail sûr et inclusif
La situation est différente lorsque vous êtes vous-même responsable. Samantha Brennan est doyenne du College of Arts de l’Université de Guelph, et malgré son statut, elle a l’impression de ne pas être à sa place à bien des égards.
« Je suis une étudiante de première génération. Je suis une immigrante au Canada. Je vis avec ma mère. Je fais beaucoup de vélo. Je ne bois pas. Mais je suppose que le point le plus important à préciser, c’est que je suis bisexuelle. »
Lorsque Samantha Brennan a commencé à travailler à l’université, elle pensait y trouver un groupe réunissant les professeurs, le personnel et les étudiants faisant partie des minorités sexuelles. Lorsqu’elle a découvert qu’il n’existait aucun groupe de ce genre, elle a décidé d’en créer un. Mais elle sait que tout n’est pas toujours simple.
« En tant que doyenne, je suis clairement du côté avantagé de la barrière. Je bénéficie de nombreux privilèges institutionnels », reconnaît-elle. « Je sais que cette stratégie n’est pas à la portée de tous. Les enseignants et le personnel LGBT de Guelph se sont donc demandé qui d’autre pourrait se sentir exclu, et ce que nous pourrions faire pour accueillir et inclure ces autres personnes. »
C’est précisément ce genre de réflexion que Samantha Dashtgard encourage les dirigeants à adopter. Elle les invite à être attentifs aux personnes avec lesquelles ils interagissent et celles qu’ils laissent de côté, car leur comportement détermine la tendance sur le lieu de travail.
Elle recommande par ailleurs d’aborder cette question de manière ouverte et indulgente, plutôt que punitive. « L’approche répressive est le plus grand ennemi de l’inclusion sur le lieu de travail », avertit-elle. « Nous devons banaliser le fait de commettre des erreurs, nous excuser et apprendre d’elles lorsqu’elles se produisent, donner notre avis sur les erreurs commises par d’autres mais en faisant preuve de compassion. »
Prévenir les schémas d’exclusion sur le lieu de travail
Le fait d’aborder le problème avec compassion et empathie favorise une résolution créative des problèmes. Tara est développeuse chez Input, une entreprise en mode hybride. Ce mélange de présentiel et de distanciel peut s’avérer problématique lors de réunions importantes où les collaborateurs en télétravail doivent appeler dans une salle de conférence bondée.
« Il est impossible de comprendre ce qu’il se dit lorsque tout le monde parle en même temps, et encore plus d’être entendu dans ce genre de situations », analyse Tara. « Nous ne parlons même pas des moments où deux conversations se chevauchent. Ceux qui sont en télétravail à temps plein n’ont aucune chance. »
Afin de prévenir les risques d’exclusion au cours des réunions, son entreprise a pris une décision étonnante.
« Une méthode efficace consiste à ce que chacun fasse comme s’il n’était pas sur place. Tout le monde rejoint l’appel et tout le monde active sa caméra », développe-t-elle. « Tout le monde est ainsi placé sur un pied d’égalité, ce qui évite aux collaborateurs en télétravail de se sentir exclus, comme cela peut être le cas lorsqu’ils participent à une réunion organisée dans une salle de conférence. »
Tendre la main pour intégrer les autres
Responsable au sein d’une start-up technologique qui compte de nombreux collaborateurs aux quatre coins du monde, Alicia souligne que la transparence dans les communications est essentielle. « Je partage avec mon équipe mon ressenti sur les décisions de la direction en toute transparence, même si je les désapprouve, car cela montre que je suis honnête et que je leur fais confiance. »
Elle sait que les enjeux sont élevés, car le sentiment d’exclusion (que celle-ci soit active ou passive) peut amener les salariés à se désinvestir de leur travail. Une récente étude intitulée « The Impact of Inclusion or Exclusion on Distributed Global Teams » (L’impact de l’inclusion ou de l’exclusion sur les équipes internationales distribuées) a révélé que les salariés qui se sentent déconnectés de leur entreprise internationale sont moins optimistes quant à son avenir.
« Le collaborateur qui décide de quitter une entreprise pour changer d’emploi sacrifie ses années d’expérience cumulées pour repartir de zéro », détaille Alicia. « Sans compter que vous prenez le risque de perdre vos meilleurs collaborateurs parce qu’ils se sentent exclus. »
Une étude menée par le Center for American Progress a indiqué que les coûts liés à la rotation du personnel représentent souvent entre 100 et 300 % du salaire de base du salarié remplacé, en fonction de sa rémunération et de son rôle.
Il peut être difficile d’identifier comment nous excluons involontairement certaines personnes, et encore plus difficile de remédier à ce comportement. Mais la prochaine fois que vous serez dans un bureau, prenez le temps de regarder ceux qui vous entourent. Posez-vous les questions suivantes :
- Pour quelle raison occupent-ils leurs fonctions ?
- Quels aspects de leur travail apprécient-ils et détestent-ils ?
- Pensez également à leur vie en dehors du bureau. Savez-vous quels sont leurs loisirs ? Quel type de musique ils écoutent ? S’ils ont des animaux de compagnie ?
Le fait de chercher à obtenir ce genre d’informations participe à l’inclusivité sur votre lieu de travail et le rend plus enrichissant. En laissant s’épanouir les différences, des points communs inattendus émergent, y compris le sentiment partagé de ne pas être à sa place.
« Il apparaît au fil des discussions que chacun a eu l’impression à un moment ou à un autre d’être exclu », conclut Annahid Dashtgard. « Ce sont autant d’occasions pour chacun de faire partie de la solution. Et en ayant conscience de tout cela, nous pouvons transformer les micro-exclusions en micro-affirmations. »